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ILs étaient cinq au total : en plus de Hans et de sa petite sœur Katia, il y avait leurs parents et leur grand-mère. La petite famille avait été forcée de déménager quelques années auparavant, ils étaient passés d'un pavillon dans le centre ville de Berlin à une baraque étroite proche de Bergen-Belsen. Ils étaient comme cachés. Hans jouait avec sa petite sœur dans la cuisine qui servait aussi de salle à manger/salon pour la famille, lorsque des soldats en uniforme envoyèrent valser la porte d'un simple coup de pied. Ils avaient détruit le mur en plâtre de la minuscule maison. Du haut de ses dix ans, Hans leur tint tête lorsqu'ils essayèrent de le prendre de force. Mais un des deux soldats mesurait bien un mètre quatre-vingt-dix pour cent dix kilos de muscles, il mâchait son chewing-gum avec désinvolture. Hans fut vite rattrapé par ce géant de muscles qui se moqua du petit garçon en parlant fort dans une langue que Hans ne comprit pas. Bientôt, toute la famille se précipita dans un énorme chahut, composé des pleurs de Katia et des cris de sa mère, vers la cuisine. Le père de Martin ne put aider son fils face à un colosse de cette taille. Il préféra écouter le soldat, il mit du temps à comprendre qu'il se devait de les suivre, lui et sa famille. Ils n'étaient pas seuls, tous les habitants des alentours étaient là eux aussi, rassemblés dans la rue. Les soldats étrangers les fixaient d'un regard lourd, accusateur et culpabilisant, ils se moquaient de leurs détenus. Hans se précipita à l'avant de ce cortège funèbre et silencieux mais rempli de panique. Deux soldats menaient la marche vers une destination inconnue.

Une main le rattrapa dans son élan, c'était sa mère:

"-Hans, dit-elle d'une voix angoissée, reste dans le cortège ! -Mais Maman, répondit le petit garçon, il faut les arrêter, ils nous emmènent là où papa nous a interdit de jouer." Elle regarda son fils, pleine de tristesse elle le serra contre sa poitrine, et le petit bout d'homme ne bougea plus jusqu'à l'arrêt total du cortège. Ils étaient arrivés, devant cet immense bloc de ciment orné d'un grillage haut de trois mètres. Cet endroit n'était pas en couleur, seulement en gris, un gris maussade. Tous connaissaient l'existence de ce camp mais ils feignaient l'ignorance, comme ils l'avaient toujours fait. C'est alors qu'un soldat voulut prendre la parole : il était grand et musclé lui aussi avait un chewing-gum. Il avait aussi ce regard méprisant à l'égard des personnes qui constituaient le cortège. Il éleva alors la voix: "- Regardez, dit-il d'un allemand approximatif avec son fort accent américain , regardez ce que vous avez laissé faire ! Sur de pauvres personnes innocentes, seulement coupables d'exister... Regardez et ne nous dites pas que vous n'en aviez aucune idée ! Ce camp de concentration est à seulement cent mètres de la première maison de votre village ! Regardez ces corps entassés, squelettiques et forcés de porter des dalles de bétons de deux fois leurs poids. Regardez! "ordonna-t-il. Hans s'éloigna de sa mère et regarda... Des tas de corps empilés les uns sur les autres... Les visages des cadavres étaient maigres et livides mais certains avaient comme un air de liberté après tout ce qu'ils avaient enduré. Hans comprit alors que ses parents lui avaient caché cette horreur car ils ne voulaient pas aider les détenus. Ils avaient fait comme tous les autres et avaient feint l'ignorance. Comme si ils n'étaient pas touchés par cette affreuse guerre... Comme si cela ne les concernait pas.... A chacun son sort... Hans avait été élevé dans le déni et à seulement dix ans il se sentait coupable. Pendant l'espace d'un instant, les soldats américains avaient entraîné le petit garçon et sa famille dans la frayeur et l'horreur qu'avaient pu vivre les déportés du camp de Bergen-Belsen, mais contrairement aux détenus, Hans et sa famille pouvaient reprendre leur petite vie bien rangée... Des larmes de rage et d'impuissance coulèrent sur son visage.... Non, plus jamais ça.... Il se le promit : lui et les camarades de son âge laveront l'honneur entaché de leur pays. Ils construiront ensemble un monde de paix et de tolérance, où chacun aura sa place.

 

 

Cloé Meininger

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